Coupes sélectives

Coupes sélectives

Le modèle d’affaires de l’édition (Papier graphique n° 2)

8 août 2014

Pour poursuivre la discussion sur le secteur canadien du papier graphique, examinons un concept important : pourquoi le sort de chacune des catégories de papier graphique est-il étroitement lié l’un à l’autre. Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que le papier graphique est utilisé dans la production des communications imprimées pour deux raisons : 1) afin de fournir des services d’informations et de divertissement (générer des recettes, par exemple, de l’abonnement à des revues et à des journaux, de livres) et de 2) mettre en rapport des personnes qui veulent vendre des choses à un bassin d’abonnés (générer des recettes par le biais, par exemple, de petites annonces, de circulaires ou d’annuaires). C’est dans cette optique que le modèle d’affaires des éditeurs devient clair : utiliser les coûts initiaux considérables qui sont associés à la construction d’une presse à imprimer pour limiter la concurrence tout en misant sur les faibles coûts marginaux de production pour établir et promouvoir une solide une identité de marque fondée, entre autres, sur la réputation, l’édition et la couverture du marché. Ce type de modèle d’affaires favorise une domination du marché par un nombre relativement petit d’acteurs importants qui mettent l’accent sur la marque, ainsi que par un groupe de petits concurrents se faisant la concurrence à l’échelle régionale. Prenons par exemple le marché canadien des journaux ces 20 dernières années : la plupart des consommateurs ont le choix entre le Globe and Mail, le National Post et un produit de Sun Media, puis un journal local ou deux qui font concurrence du point de vue de l’édition, des langues, des politiques, etc. En appliquant ce modèle d’affaires, des éditeurs connus ont été en mesure pendant des siècles de réaliser de gros profits.

De nos jours, les coûts initiaux pour lancer un site Web, tel qu’un blogue, sont très faibles. Toutefois, ce n’est pas Internet en soi qui a livré bataille au papier graphique pour la suprématie des technologies de communication. Nous savons (en anglais seulement) que quatre autres technologies clés étaient en cause :

Ces quatre événements non coordonnés (bien que Google soit présent à plusieurs endroits de la chaîne) ont fait en sorte que les sites Web se soient divisés en deux marchés – le marché de la publicité et celui des informations/du divertissement – en permettant aux utilisateurs d’accéder à du contenu (publicités/information en ligne) rapidement et facilement (recherche par classement de pages), sachant qu’ils seront dirigés vers des sites de qualité (enchères sur les mots clés) tout en réalisant les recettes nécessaires pour maintenir tous les éléments précités (fractionnement des revenus publicitaires).

Ces innovations ont entraîné l’arrivée de millions de nouveaux compétiteurs pour les médias imprimés traditionnels. La plupart de ces nouveaux arrivants n’ont jamais été en mesure de faire de l’argent et ont rapidement disparu. Toutefois, un grand nombre d’entre eux ont survécu et (encore une fois grâce à ces quatre innovations) ont carrément supplanté l’édition traditionnelle en raison de leurs coûts marginaux plus faibles. Autrement dit, même si le coût de l’impression d’un journal supplémentaire est faible, le coût d’un lien supplémentaire l’est encore plus, sans compter, entre autres, les coûts de distribution, les avantages associés à une publicité adaptée aux caractéristiques de l’utilisateur et le cycle plus rapide des nouvelles.

Maintenant, on pourrait (et on devrait, si on écrivait un livre) compliquer davantage les choses en traitant des investissements publics et privés dans les télécommunications qui ont rendu la connectivité Web largement accessible, des développements techniques qui ont fait baisser les coûts de la puissance informatique, des politiques publiques qui ont fait diminuer le coût de l’électricité, ainsi que de la mondialisation du marché de travail et des mouvements de capitaux qui ont simultanément rendu possible la fabrication à bas prix d’appareils portables connectés à Internet et la création de nouveaux marchés forts de plusieurs milliards de personnes pour ces appareils, etc.

Autrement dit, c’est la convergence de quatre (ou d’une dizaine ou d’une centaine selon la portée de l’enquête) progrès non coordonnés qui ont entraîné le déclin des médias imprimés traditionnels, et avec lui, une demande pour du papier graphique. Il a fallu pour cela ouvrir deux marchés qui imposaient auparavant des obstacles à une forte concurrence à bas prix. Cela a eu une incidence énorme sur la demande pour les papiers graphiques – le sujet de notre prochain article.